ChroneSuite

Du 22/06/20219 au 02/09/2019
Nonno - Bretteville sur Odon

Suite de Chrone, tentative de récit dérivé de “la Horde du contrevent” d’A. Damasio

“Sur la plaine, dans un halo de poudre rouge, parmi les dunes et les creux, ils émergent de tous les points de la ligne d’horizon, sans ordre intelligible, épars et progressivement, à la façon de cumulus lissés et mats, qui seraient sortis d’une boucle dérobée du vent. Des points argentés, pas plus gros qu’un ballon, se forment également et  se délient…
Il doit faire dans les cinq mètres de haut sur cinq de large et une trentaine de long. Et pour qui scrute attentivement, pour qui sait où porter le regard, il est couvert de glyphes, à moitié fondus dans le gris plomb des parois, des glyphes mouvants, comme tracés à l’instant, que je n’arrive décidément à rattacher à aucune écriture
connue. Des bouts de courbe, des segments de traits, virevoltants et conjoints, suffisamment pour évoquer une volonté, à moins… À moins que j’y injecte, en humain, un sens qui n’y est pas, un dessin qui ne soit qu’un hasard de mouchetures et d’incisions…”



Dessins











Interview ReChrone

par Céline Malewanczyk

A l'origine du travail, il y a une lecture déterminante : La Horde du contrevent d'Alain Damasio, ample fresque retraçant l'épopée de 23 personnages évoluant dans un espace désertique balayé par les vents.

Mais c'est sur les « chrones », entités magiques traversant cet univers surréel que se focalise la démarche plastique. « Ce qui m'a fasciné, c'est d'abord l'étrangeté de leur aspect, leur forme ellipsoïde, oblongue et molle, comme des cylindres fluides qui se meuvent en troupeau de manière imperceptible. Mais c'est aussi le pouvoir magique qu'ils ont de transformer ceux qui les traversent. Cela m'a fait penser aux idées, aux visions portées par les livres qui nous transforment irrémédiablement quand elles nous traversent. »
Ce sont donc ces formes flottantes, matérialisant la force des concepts, des Idées - au sens platonicien – qui transforment l'Etre humain en le traversant qui sont au centre de la réflexion et se trouvent représentées sous diverses formes (dessin, 3D, volumes, animation vidéo) dans ce corpus d'oeuvres.

Le flou de la description des chrones dans le roman, cylindres d'environ 15 mètres de long à la forme de Zeppelin, a donné naissance à un crypto-récit plastique. De fil en aiguille, s'est mise en place, une narration. « Les chrones constituent une sorte de ligne directrice d'une forme de récit retraçant l'évolution de ces entités. Parce qu'on en revient toujours là, raconter des histoires est à la base de tout. »

Ainsi, comme dans une création du monde, une genèse plastique, il y a d'abord Herd, grand format à l'encre, « tentative de représentation littérale » de la scène originelle du roman où apparaissent les chrones. Puis Canyon, qui propose une mise en mouvement des chrones, dirigeables, « ces formes utopiques, promesse d'un monde vaste et silencieux que l'on parcourrait à bord des nuages artificiels, même s'ils contiennent aussi la perspective d’une catastrophe, d'un crash potentiel. »

Cherchant à déployer l'univers du chrone est apparue ensuite l'idée de la duplication, dans Parturition des tentacules abritent une progéniture qui prend son envol dans émancipation où les jeunes chrones parcourent la nature et les villes détruites.
Qu'il s'agisse des dessins à l'encre, des volumes ou des vidéos, le point de départ des productions est toujours une image conçue avec des outils numérique (3D, photomontage, traitement numérique). Ces images sont imprimées et encrées en transparence à l'aide d'une boîte lumineuse. « J'aime l'idée de la lutte perdue d'avance pour reproduire à la main la perfection produite par la machine. Les accidents pendant l'encrage sont précisément ce qui rend le dessin unique et non reproductible. »
Si le combat de la perfection est perdu, un autre, plus captivant, est gagné : celui de l'imperfection, inhérente à l'humain. Cette résistance, sorte de « dernier chant du cygne » contre la machine réside dans le fait que la « résolution de l'accident » ne peut appartenir qu'à l'humain.

Et derrière cette activité méditative du trait à l'encre inlassablement et méticuleusement tracé peut résonner cette phrase de Beckett dans Cap au pire, comme un mantra, « Déjà essayé, déjà échoué, peu importe, essaie encore, échoue mieux ».